Critique – Francis Richard

http://www.francisrichard.net/2019/09/un-boudoir-sur-l-atlantique-de-jessica-da-silva-villacastin.html

La Guyane est un prétexte; la vraie destination est le mode d’y prétexter: un porte-conteneurs. Car si la marchandise justifie la route, ce sont bien les hommes et la mer qui l’esquissent, au final.

Le prétexte? La journaliste Jessica Da Silva Villacastín se fait accréditer auprès du Centre Spatial Guyanais pour assister au lancement d’une fusée Ariane.

Le porte-conteneurs? Le CMA CGM Platon, qui mesure 170 mètres de long, 27,2 mètres de large et qui a une capacité de 1700 conteneurs équivalents à vingt pieds.

Le carnet de bord commence en fait le 19 janvier 2015, alors que l’embarquement aura lieu le 5 août 2015 et que le cargo arrivera le 19 août 2015 à Dégrad des Cannes: La disproportion du temps dévolu aux préparatifs et celui de la route me semble déjà ridicule, à la fois que respectable…

Elle sera seule femme à bord et aura trente ans le 14 août 2015, au moment où le cargo fera escale à Saint-Martin: Ma peur et mon désir, c’est la mer. Pas le mâle.

Quel titre donner à son carnet de voyage à bord du porte-conteneurs? L’auteure pense d’abord à: Effleurer les Atlantiques, Temps des Atlantiques, Pont F, Effleurer la marine marchande,  Some nautical pastorals, Les heures de l’Atlantique. Puis elle arrête son choix à: Un boudoir sur l’Atlantique.

Originellement, un boudoir c’est une petite pièce dédiée aux causeries féminines. Après un temps d’accoutumance, la cabine de l’auteuredevient effectivement son boudoir à elle, où elle peut se confronter avec elle-même:

Je commence à adopter une nouvelle habitude qui me rappelle ma marque de fabrique: m’isoler le matin. Depuis quelques jours, je reste dans ma cabine, bois un ou deux thés verts en écrivant, en lisant la biographie captivante de La Fayette sous la plume du romantique Gonzague Saint Bris…

Le reste du temps, elle le passe à faire connaissance avec le cargo, au coeur de l’océan, chargé à bloc d’humains, de vivres, de valeurs, mû par une ingénierie potentiellement explosive (quand il ne s’agit pas de son chargement même).

Ce qui l’amène à rencontrer l’autre: Être interdépendant dans la solitude; être enfermé en pleine mer tout en contemplant des ciels presque divins… Un marin contemporain est un oxymore parfait.

Arrivée à bon port, depuis qu’elle a quitté sa cabine et les marins elle est triste: J’aimais la mer, je m’y sentais bien.

Pourtant elle ne rentre que le 5 octobre 2015 et séjourne auparavant en Guyane, où elle comprend qu’il y a un voyage après un autre, et ainsi de suite nécessairement:

Écrire sur le microcosme propre à un bateau marchand s’est mêlé à merveille avec la découverte graduelle de cette société multiculturelle, qui balade son panier du Super U au marché aux poissons traditionnel.

La Guyane? Ici, la différence c’est la norme. Faire du stop, c’est la norme…

A la fin de son carnet de voyage, elle tire toutes les conclusions de cette aventure qui l’a réellement changée et le termine en disant:

Ce recueil, c’est la mémoire de ce dépassement du « moi » social, avec ses étapes, le voyage, c’était la proposition, l’écrit, la trace. Le but, vivre un peu plus léger dans la profondeur de toute chose, au prix de ne jamais vraiment y revenir.[…] La mer et ce qui s’y passe, amères plus que salées, les lèvres du coeur, m’ont laissée.

Francis Richard

Un boudoir sur l’Atlantique, Jessica Da Silva Villacastín, 152 pages, Éditions Encre Fraîche